mercredi 7 octobre 2009

Non, District 9 n’est pas joli

Ou la réponse à un non-article que personne n’écrivit mais qu’une personne lut

D’abord le, fort heureusement bref, non-article en question.

Je constate qu’il y a trop peu de journalistes à la rédaction du Vif l’Express pour qu’il soit correctement tenu : soit que les auteurs des articles sont surmenés et ne peuvent, dès lors, s’atteler correctement à tous leurs sujets, soit qu’on les charge d’écrire sur ce qui ne les concerne pas faute de connaissance ou d’intérêt.

Inutile de revenir longuement sur les dix lignes du Vif écrites par une personne qui n’a pas vu, ou vu mais pas compris, ce film, qui me semble pourtant à la portée de la première crevette venue.

Vous dites de District 9 qu’il est un ovni, et à vos yeux c’est vrai. Pourtant il est – et à travers lui les pensées de son réalisateur – très identifiable. Ce sont des pensées très vilaines qui le portent ; et si vous les aviez perçues, vos hurlements au loup résonneraient encore sur votre page web vide. Car que dit Neill Blomkamp ? Il pleut sur la douce société arc-en-ciel qui est, telle la silhouette irradiée et formidable d’une soucoupe flottant au dessus de Johannesburg, un mirage, un trucage fait d’images de synthèse pour film de science-fiction. "On vous raconte des histoires, voilà ce que dit le réalisateur, et même la mienne est plus réaliste que ce conte, pour têtes dans les étoiles, du beau pont irisé."






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On ne peut que difficilement être en désaccord avec cela, la situation du Cap et d'autres ne laissant subsister nul doute. Ce qu'on ne peut non plus avancer sérieusement, c'est que District 9 soit surtout une métaphore sur l’Apartheid historique, celui aboli en 1991, au sujet duquel on y trouve quelques noirs clins d’œil si j’ose dire. Il y a le titre bien-sûr, rappelant le District 6 de Cap Town, et les pancartes ségrégationnistes parsemées çà et là. Mais ces rappels s’inscrivent parfaitement dans le propos général et actuel du réalisateur : c’est une des conséquences possible de la multi-société, c’est arrivé en Afrique du Sud, mais ne croyez pas qu’il fait bon y vivre aujourd’hui car c’est d’aujourd’hui que je vous parle, « ce ne sont pas mes souvenirs que je filme dans District 9 : c’est une vision actuelle de l’Afrique du Sud. » [1]
L’eau de ce spectacle est glauque mais transparente, et on y voit le fond pour peu qu’on le regarde…

Attention Spoiler !

La fin seule, apocalyptique, confirme ce que je dis, où l’on lit sur fond de bidonvilles sud-africains – dans lesquels on a vu la condition déplorable de ces habitants – que le nombre d’extra-terrestres croit sans cesse, alors qu’un espoir subsiste en la promesse de Christopher Johnson qui reviendra chercher les siens, et guérir Wikus van der Merwe (qui, très entre parenthèses, vit mal, mais alors très mal, le métissage [2]). En attendant ce ne sera que violences consubstantielles, guerres ou oppressions admises – les mollusques n’usent pas de leurs armes –, parcages sauvages, avortements forcés, kidnappings, meurtres et dissections, expropriations, trafics et anthropophagie !

Mais en vérité la fin (de qui ?) permet-elle le moindre espoir (et pour qui ?) ? Voici peut-être la finesse de ce long métrage : sous l’entomoïde déguisement de l’être étrange ne se cache pas uniquement le réfugié, le clandestin, il y a le colon aussi, et il y a l’inhumain surhumain. Ainsi l’homme d’une monstruosité blanche ou noire [3] parait bien condamné à laisser la place à ce qui le dépassera en humanité intérieure : un extraterrestre recyclant du fer en fleur, juste par amour - soustrayez la science-fiction : reste du fer, des fleurs et des crevettes.

Autre chose, avant qu’effarouché vous ne rougissiez, de honte et de dégout, tel certain épris d’une femme, qu’il découvre, au lit, être tout autre chose qu’une femme… Je dois vous rassurer : Neill Blomkamp ne croit pas en la supériorité d’une race sur une autre : les mollusques ne sont pas, loin de là, inférieurs aux hommes ; chez les humains, il y a autant de salops blancs que noirs ; le meilleur des personnages de District 9 est l’étranger par excellence ; enfin, une amitié nait entre les deux personnages principaux – est-ce que cela insinue que le fameux « vivre-ensemble » ne serait possible qu’entre des personnes isolées mais pas entre deux, ou trois, ou quatre, peuples ?

Restons dans le neutre ton journalistique : chacun se fera son opinion sur celle de ce jeune cinéaste.

Voilà, entre autre choses, ce que vous pussiez souligner de ce divertissement politique, sociologique et non-expérimental - formellement il n’apporte rien, c’est d’ailleurs pour cela que vous ne lui trouvez aucune autre qualité que cette inintéressante forme de faux reportage, qui, en outre, n’est que celle du prologue - long, c'est vrai - et de l’épilogue pour ainsi dire[4]. On s’y amuse tout de même, évidemment c’est fait pour. Et les enfants adoreront le robot.

Sans emploi, je suis malade de voir cette sorte de gens qui ne sont pas à la hauteur des missions qui sont les leurs : ce médiocre professeur, ce journaliste fainéant, menteur ou confondant faits et opinions, ou encore ce lâche politicien, etc., etc., tous bien plus nuisibles que le chômeur. Aussi je propose, afin que chacun d’entre nous améliore son apport à la société, que, vous et moi, monsieur le critique, nous y échangions nos rôles [5].


[1] Neil Blomkamp interviewé par Les Inrockuptibles

[2] Un peu laconique... Du film, c'est le point le plus flou à mon regard, et donc le plus intéressant...

[3] Voir, à ce propos, la ridicule polémique sur le sort fait aux Nigériens dans le film - ridicule car les blancs de District 9 n’ont rien à envier en horreur aux noirs.

[4] J'exagère un peu, c'est intéressant. Mais pas plus ici qu'ailleurs : cela s'inscrit dans presque tout le cinéma populaire contemporain. Et sur ce phénomène effectivement il y a des choses à dire.

[5] Ah! Je sais... Je sais... Mais c'est à mes dépens que je vis aux vôtres.